White Dreams
White dreams. Le titre d’une série de photographies dont sont extraites les deux planches présentées ici. A la tête cagoulée, posée au ras du sol, répond la nuée de fumée blanche, elle aussi appesantie, écrasée par la masse noire d’une plaque de plexiglas. Les images percent fébrilement le noir qui les entourent, aidées par la lumière blafarde d’un unique néon. Un arpège donne la cadence pulsatile à ces apparitions.
L’écran du rêve. Bertram D. Lewin, décrit le rêve idéal comme un écran blanc qui représente le désir de dormir du rêveur. Dans la série des White Dreams, les motifs blancs des images occupent infatigablement le bas de l’écran, laissant la majeure partie en réserve, noire. La série déroule ses vignettes, banales et brutales, jusqu’à un éblouissement blanc, une disparition de toute image: le sommeil enfin possible.
Ou le plafond blanc de l’insomniaque. Pour celui qui ne dort pas, la veille est un cauchemar et le rêve éveillé n’est autre que celui d’enfin dormir d’un sommeil blanc pour arrêter la succession des images. Mais à la rassurante discontinuité du découpage veille/sommeil, l’insomnie oppose une continuité sans répit. Celui qui n’a pas de repos est un arpenteur de la nuit, dont les yeux toujours ouverts sont, écrit Cioran, des témoins privilégiés du désespoir. « En enfer, on ne dort jamais ».
Des nouvelles de l’enfer. Le registre d’images sourdement brutales s’étend dans des séquences filmées. Un ballet d’avions de chasse, écho cinétique aux fumées statiques. Un crâne agité dans les flammes à l’aide d’un tisonnier: infamie faite à ce qui n’est ici évidemment plus un visage, à ce qui avait déjà été nié avant la mise à mort par le recouvrement d’une toile grossière.
Et le crâne disséqué. Ça ne peut pas être une vanité. Le Memento Mori, était une mise en garde à un homme qui devenait un sujet. Ici, les creux filmés au delà de toute exhibition ne portent la trace d’aucun rêve, d’aucune mort qui pourrait être le propre d’un sujet. Ce crâne ouvert, désossé, n’est plus le lieu d’aucun mystère de la conscience quand il est réduit à un objet sur lequel s’exercent les volontés de contrôle. Le rêve de blanc est devenu un cauchemar totalitaire: 1984, pour la fiction, 1939, pour la réalité. Elle avait anticipé.
Sous le IIIè Reich, même le rêve n’était plus un espace privé, mais l’extension nocturne des traumatismes vécus pendant la veille et de l’aliénation du système totalitaire. Le rêve d’être toujours plus blanc que neige, toujours moins suspect, toujours moins sujet, contamine les esprits. Rentre dans les crânes.
Les yeux ouverts, Steeve Bauras photographie des ciels obscurs, des sols couverts de cendres, des têtes sans visages, qui semblent venir d’on ne sait quel rêve ou fiction cauchemardesque. Ces images sont pourtant toutes des fragments documentaires, retravaillés, distordus par les techniques de reproduction qu’il leur inflige. Par ces procédés, il fait travailler les images, il les réveillent de l’oubli.
Elise Vandewalle